Plus de 1300 décès, c’est le bilan fourni par les autorités saoudiennes du Hajj 2024. De retour, des pèlerins sénégalais se confient à L’Observateur. Ils expliquent comment ils ont côtoyé la mort.
Abdou Aziz Diop : «Si je ne l’avais pas secouru, il serait mort»
«Il faut revoir la question de l’âge. Il faut que l’État prenne cela très au sérieux. Je suis tombé sur un pèlerin sénégalais et je suis sûr que si je ne l’avais pas secouru, il serait mort. C’est un vieux que j’ai rencontré à Mouna. Il avait perdu connaissance et était en plein délire. Quand on lui demandait son nom, il nous disait qu’il habitait en face de chez. Modou Lô à Guédiawaye, alors que c’est lui-même qui s’appelle Modou Lô.
J’ai appelé Houreye Thiam pour lui dire que le vieux a été convoyé par Aly Diaw. Elle m’a demandé de l’amener au bureau 26. C’est très difficile. La chaleur est infernale. Quand tu marches, tu vois des corps sans vie sur le bord de la route. C’est très éprouvant. Il faut que les conditions pour quitter la Mecque et aller à Mouna soient revues. Il faut qu’on puisse mettre des bus et sécuriser la route pour qu’il n’y ait pas d’embouteillages. C’est inexplicable.
Il fait extrêmement chaud. Les gens se perdent facilement surtout si certaines routes sont barrées. C’est traumatisant de voir des morts sur le bord de la route. Des amis m’ont rapporté qu’un jour, ils ont dépassé 7 personnes décédées dans la rue. C’est flippant. C’est terrible. Il faut que l’Etat vérifie l’âge des pèlerins et veille surtout sur les visites médicales. Il y a des visites médicales de complaisance. Certains pèlerins sont malades et ça pose énormément de problèmes.
On a entendu parler de 600 morts dont 300 Egyptiens, nous n’avons pas le bilan officiel, mais ça fait peur. Il y a plein de gens autour de la Kaaba. Quand je faisais mon dernier tawaf, j’ai vu une femme tellement mal en point que je me suis dit qu’elle allait mourir. C’est vraiment compliqué et éprouvant. Il faut que les gens insistent sur l’âge sinon on va vers une catastrophe.»
Modou Guèye : «Les gens marchent sur plus de 10 km sous une chaleur étouffante»
«Il fait très chaud. Certains pèlerins ne suivent ni les consignes, ni les alertes météos. Ils marchent sur de longues distances sous une chaleur infernale. J’ai vu un corps sans vie à Arafat. C’est après qu’on nous a dit que c’est un Nigérien qui convoyait des pèlerins qui venaient des Etats-Unis.
Plusieurs personnes décèdent parce qu’elles sont malades. Certaines, à cause de la chaleur. Il y en a qui quittent Mousdalita pour ensuite aller à Mouna, le jour de la Tabaski et y rester trois jours avant de rejoindre la Mecque, comme il n’y a pas de voiture de transport, les gens marchent sur plus de 10 kilomètres sous une chaleur étouffante. C’est là-bas qu’il y a le plus de morts parce qu’il fait extrêmement chaud.»
Oustaz Assane Diop, PDG Sen Makka Travels : «Le jour de la Tabaski, nous avons dépassé au minimum 5 morts sur le bord de la route»
«Il y a eu plein de manquements. L’étape de Mouna est la plus difficile. Des millions de personnes se retrouvent dans un seul endroit où les températures peuvent atteindre les 47° à 51°. Les gens n’ont même pas d’eau glacée à boire. Le système de climatisation n’est pas efficace. Les tentes peuvent contenir jusqu’à 300 personnes.
Les conditions y sont excessivement difficiles. Le jour de la Tabaski, nous avons dépassé au minimum 5 morts sur le bord de la route, alors que nous étions en taxi. L’ami avec lequel on était était tellement traumatisé qu’il ne pouvait piper mot. Il a gardé le silence durant tout le trajet.
C’est après que les policiers sont intervenus. C’est après que nous avons entendu parler de 1000 morts et on nous a dit que c’était do à la chaleur. J’ai fait 18,5 kilomètres le jour de Arafat (samedi 15 Juin) de 06 à 11 heures sous 47% Tu ne vois pas de voiture et, interpellés, les policiers se limitent à te jeter une bouteille d’eau.
L’ambulance que j’ai arrêtée m’a dit qu’elle pouvait me laisser à la Mecque parce qu’elle ne pouvait pas aller jusqu’à Arafat. Les conditions sont infernales. Même les jeunes souffrent. Les vieux ne peuvent pas tenir sous cette chaleur et c’est pourquoi ils meurent. Nous sommes dans le convoyage des pèlerins depuis des années, donc nous avons T’habitude d’entendre que des gens sont morts ici, mais l’ami avec lequel j’étais, est vraiment traumatisé.
L’année dernière, nous étions à une dizaine de pélerina sénégalais décédés, cette année nous en avons 5. Il faut que l’encadrement soit revu, les conditions de transport. C’est un véritable casse-tête. Les gens sont épuisés.»
Mouhamadou Badiane : «Choqué de voir des gens mourir dans les rues»
«J’ai vu des gens mourir devant moi. Quand nous avons quitté Arafat pour aller à Mouna, sur le chemin du retour, j’ai vu 5 personnes décédées. Trois sur le bord de la route, l’un au milieu de la chaussée et le dernier sur le trottoir. Les ambulances allaient et venaient interminablement pour transporter les corps sans vie. Toutes les voitures ont été stoppées pour faciliter le déplacement des ambulances.
Ça m’a choqué de voir des gens mourir dans les rues. J’ai ressenti beaucoup d’émotion. C’était vraiment triste. Dans ta tête, tu te dis que ce sont des gens comme toi, qui ont quitté leur famille pour venir accomplir l’un des piliers de l’Islam et qui y ont laissé leur vie. Toutes ces morts sont dues à la chaleur. Il faisait excessivement chaud à la Mecque. A un moment, il faisait 51° entre 13 et 17 heures. C’était une chaleur étouffante.
Si le pèlerin a certaines pathologies, il ne peut pas survivre surtout ceux qui viennent des pays où il ne fait pas encore très chaud durant toute l’année. Les vieux ne peuvent pas résister et ils finissent pour la plupart par succomber. J’ai eu énormément de compassion pour eux en pensant à leur famille, parce que les gens sont enterrés sur place. Tu fais le tour de la question et tu te rends compte que c’est très dur. C’est vraiment difficile.»