Président de l’Union africaine (Ua), Macky Sall explique les raisons de son récent coup d’appel au Président Russe, Vladimir Poutine. Dans cet entretien, le chef de l’Etat du Sénégal expose les conséquences économiques et sociales de la guerre en Ukraine que risquent de subir, particulièrement les économies les plus faibles de l’Afrique et du monde.
Le Président Sall qui souligne la nécessité de gagner au plus vite la bataille de souveraineté alimentaire, donne également les pistes de la résolution du conflit entre la Russie et l’Ukraine, non sans indiquer que personne n’a intérêt que cette situation perdure.
En tant que Président en exercice de l’Union africaine (Ua), vous vous êtes entretenu, le 9 mars dernier, avec Vladimir Poutine, Président de la Russie. Que retenez-vous de ce dialogue ? Comment l’Ua peut-elle peser sur les parties en présence pour faire taire les armes ?
Je dois préciser que cet appel était à mon initiative et que le Président Poutine a bien voulu y donner suite sans tarder. C’était un dialogue serein et courtois de près d’une demie heure. Il a pris soin de m’écouter et m’a aussi expliqué sa version des facteurs explicatifs de la crise en indiquant qu’il reste ouvert au dialogue. Cette crise est majeure en ce sens qu’elle engage directement une grande puissance et fait réagir d’autres grandes puissances, les unes et les autres étant dotées des plus grandes capacités militaires du monde, y compris l’arme nucléaire. On peut imaginer les conséquences catastrophiques qu’un affrontement entre ces puissances engendrerait sur le monde entier. Une guerre qui éclate, on ne sait ni quand ni comment ça va se terminer ; la particularité étant ici qu’elle implique directement une grande puissance avec un risque potentiel de dérapage. Personne, aucun camp, n’a intérêt à ce que cette situation perdure. Il est donc du devoir de tous de s’impliquer pour l’arrêt du conflit et la recherche d’une solution négociée. L’Ua n’a pas la prétention de faire taire les armes, mais quand le sort de l’humanité est en jeu, nous avons tous l’obligation d’appeler à la paix, parce que nous avons une humanité commune. C’était ça le sens de mon initiative.
Le Sénégal s’est abstenu au vote des Nations Unies condamnant l’invasion de l’Ukraine, qu’est-ce qui a motivé la décision de votre pays ?
Je dois d’abord dire que dès le 24 février, en ma qualité de Président en exercice de l’Ua, de concert avec le Président de la Commission de l’Organisation, nous avons publié un communiqué appelant sans équivoque au respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Sur le principe.
S’agissant du vote du Sénégal, il est dicté par nos propres impératifs nationaux. Quand une situation de cette nature éclate, notre pays se détermine suivant sa propre évaluation des faits, ses dynamiques internes et externes et selon l’évolution de la situation. C’est ce que nous avons fait. Du reste, si le Sénégal s’est abstenu sur la résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies, il a voté quelques jours plus tard en faveur de la résolution du Conseil des droits de l’homme. Nous respectons le choix de chaque pays. De la même manière, nous nous attendons à ce que chaque pays respecte le nôtre.
Comment appréciez-vous la politique de sanctions imposées par les Etats-Unis et l’Europe à la Russie, alors que cette logique punitive a toujours eu avant tout des conséquences dramatiques pour les populations, comme l’illustrent par exemple les précédents irakien et syrien ?
Je n’ai pas à apprécier des décisions prises par les États-Unis, l’Europe ou un autre pays. Comme je l’ai déjà dit, devant une situation donnée, chaque pays se détermine selon ses propres dynamiques et assume ses choix.
Quelles sont les répercussions attendues de la crise Russie-Ukraine sur l’économie et le pouvoir d’achat au Sénégal et sur le continent africain ?
Ces répercussions ne peuvent être que néfastes, avec la hausse vertigineuse des prix des hydrocarbures et des autres produits essentiels, y compris alimentaires, alors même que le monde continue encore de subir l’impact de la pandémie de Covid-19. Naturellement, ce sont les économies les plus faibles, de surcroît dépourvues de mécanismes de résilience conséquents qui subiront le plus durement les conséquences économiques et sociales de la guerre. Cette situation, comme du reste celle née de la pandémie de Covid-19, nous rappelle la nécessité de gagner au plus vite la bataille de notre souveraineté alimentaire en investissant massivement dans l’agriculture et la transformation de nos produits agricoles. C’est une des priorités essentielles du Sénégal avec le Plan d’actions prioritaires ajusté et accéléré (PAP2A) que nous avons adopté en septembre 2020 pour nous préparer à la relance économique post Covid. Le secteur agricole y occupe une place de premier choix ; ce qui justifie la hausse du budget consacré à la campagne agricole qui passe à 70 milliards FCfa cette année, contre 60 milliards l’année dernière.
Craignez-vous, par exemple, le retour des émeutes de la faim qui avaient secoué l’Afrique en 2007-2008 ?
Devant tant d’incertitudes et de facteurs aggravants d’une crise qui s’ajoute à une autre, on ne peut rien exclure a priori. C’est pourquoi il faut tout faire pour arrêter au plus vite ce conflit et s’asseoir autour de la table pour trouver une issue négociée à la crise. Plus vite on y arrivera, mieux ce sera pour tout le monde. Par définition, l’être humain s’accommode plus de l’état de paix que de l’état de guerre. La guerre, c’est la faillite de l’humanité.
Toute la sous-région est rongée par l’instabilité et la menace djihadiste frappe à vos portes, y a-t-il, selon vous, une réponse militaire à cette autre crise ? Et plaidez-vous, en tant que Président de l’Union africaine, pour une tentative de règlement militaire du conflit en impliquant les armées locales, plutôt que de faire appel à la France ou aux mercenaires de Wagner ?
L’extrémisme religieux est un phénomène mondial qui peut revêtir une forme violente. Il frappe partout, selon une ampleur, des formes et des modalités différentes. Notre sous-région n’y échappe pas. Depuis plus d’une dizaine d’années, l’Afrique s’y trouve confrontée, de la zone sahélo saharienne, jusqu’à la corne de l’Afrique et en Afrique australe, en passant par le bassin du Lac Tchad. Aujourd’hui, c’est l’existence même de nos Etats qui est en jeu. C’est pourquoi nous n’avons d’autre choix que de faire face par la riposte militaire, même si, à elle seule, elle ne suffit pas. La réponse à l’extrémisme violent doit aussi être éducative et économique. Bien sûr, la riposte nous incombe au premier chef. Il faut des armées étoffées en effectifs, bien entraînées et bien équipées ; autant des années d’ajustement structurel n’ont pas permis, hélas, de remplir. Mais nous ne devons pas être seuls à combattre le terrorisme en Afrique. C’est une responsabilité globale qui engage en particulier le Conseil de sécurité. Du reste, le Sénégal a, par exemple, toujours plaidé pour que la Minusma, composée aujourd’hui de près de 15 000 éléments, soit dotée d’un mandat robuste et d’équipements conséquents lui permettant de combattre le terrorisme. Tel n’est pas le cas à ce jour et c’est bien dommage, car je ne crois pas que les groupes terroristes qui sévissent en Afrique puissent l’emporter sur une coalition militaire internationale suffisamment constituée en nombre, bien équipée et décidée à combattre.